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  • Arame Sene

La conformité, atout ou frein au développement de l’Afrique de l’Ouest par Arame Sene

Dernière mise à jour : 26 févr. 2023

Une réduction du montant annuel de la fuite des capitaux en Afrique de 88,6 milliards de dollars permettrait au continent à atteindre la moitié de son déficit de financement de ses objectifs en développement durable, selon le rapport du CNUCED (Conférence des Nations Unis sur le Commerce et le Développement) de 2020.1)

Les résultats de ce rapport sont très préoccupants au regard de la situation de l’Afrique – considérée comme un continent riche en ressources naturelles et humaines, mais qui peine à décoller économiquement. Ce retard notoire et inquiétant du continent s’explique par la présence de plusieurs fléaux qui gangrènent son économie, freinent son décollage et compromettent les niveaux de vie des populations. Parmi ces maux l’on peut noter la présence pandémique de flux financiers illicites. Ces derniers sont des flux financiers (FFI) dont l’origine, le transfert ou l’emploi sont illicites, qui concrétisent un échange de valeur (au lieu d’une simple transaction monétaire) et qui franchissent les frontières des pays. Ils prennent la forme d’infraction – corruption, le blanchiment d’argent, la fraude fiscale et la lutte contre le terrorisme – dont l’illicéité vient du mode d’acquisition.

Ces FFI rognent l’assiette fiscale, compromettent les recettes publiques et par conséquent réduisent les dépenses publiques sur l’éducation, la santé et les infrastructures. C’est dans cette optique que la présente étude s’intéresse plus spécifiquement aux impacts de ces FFI sur développement ouest-africain. En d’autres termes, en quoi la mise en œuvre d’un programme de conformité efficient serait un vecteur de développement pour cette partie du globe.

La conformité désigne, au sens large, le respect de la règlementation en vigueur applicable à un secteur d’activité, un pays ou un groupe de pays. Par le terme conformité est ici fait référence aux avancés de l’Afrique de l’Ouest2) en matière de lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent, la fraude fiscale et financement du terrorisme.

Eu égard aux constations, s’intéresser aux impacts de la conformité et inversement et indirectement de ces flux financiers sur la situation économico-sociale de l’ensemble des pays composant la zone occidentale du continent africain est et restera une priorité.

Afin d’appréhender la pertinence du sujet et donc le lien direct qu’entretiennent conformité et développement économique, il semble nécessaire d’étudier l’impact de chacune de ces infractions – prenant la forme de FFI – sur les différents pans de l’économie ouest africaine.


Selon la Banque Africaine de développement, la corruption fait perdre 148 milliards de dollars par an au continent africain3). Ces pertes importantes impactant directement les recettes publiques africaines sont notamment liées au fait que la corruption sévit dans les plus hautes institutions de l’Etat. Plus spécifiquement et à titre illustratif, il suffit de se pencher au cas de blanchiment de produits tirés de rackets/d’extorsions de fonds par un agent de répression criminelle, en recourant au secteur de l’immobilier4). A la lecture des faits de l’espèce on peut légitiment affirmer que sont les personnes qui sont censées faire respecter les règlementations qui en sont les premières contrevenantes. Or, ces pratiques constituent de réel manque à gagner de l’Etat et inversement, un enrichissement illicite des agents publics au détriment des populations.

Hormis ces cas impliquant directement les agents publics, le phénomène de corruption peut directement résulter des faits de plus hauts responsables gouvernementaux. Le cas le plus récent est le plus gros scandale de corruption dans le secteur pétrolier de Malabu Oïl, impliquant des compagnies pétrolières multinationales (Shell et Eni) et de hauts responsables gouvernementaux (y compris des ministres) au Nigeria. Cette arnaque, qui a dépouillé́ le secteur pétrolier nigérian de plus d’un milliard de dollars EU, s’est appuyée sur l’anonymat de la propriété́ des entreprises, les sociétés écrans, les paradis fiscaux offshore et autres systèmes visant à masquer la grande corruption, la subornation internationale, l’évasion fiscale et le blanchiment de capitaux, dans de multiples juridictions5).

A cela, s’ajoutent les avoirs volés par les personnes occupant des postes dans les plus hautes institutions de L’Etat dans les comptes publics. Le cas le plus célèbre est celui de de la famille BONGO dont la fortune a été estimée à 68 millions d’euros acquis en France entre 1960 et 2008 incluant trois hôtels particuliers à Paris et sept villas à Nice, entretenus à grands frais, trente-trois propriétés dans la capitale et sur la Côte d’Azur6). L’enquête démontre le rôle majeur joué par une société française, Atelier 74, spécialisée dans la décoration intérieure, et par ses dirigeants, la complaisance d’un notaire ainsi que la banque BNP Paribas qui « ne s’est prévalue de demander à son client l’origine des fonds et l’importance des volumes d’espèces ».

Le cas de la famille BONGO n’est qu’un exemple parmi tant d’autres flux financiers illicites – liés aux malversations des deniers publics – commis par des hautes autorités de l’États qui viennent étayer « des analyses au niveau mondial montrant que dans de nombreux pays africains, de 20 à 30 % de la fortune privée est placée dans des paradis fiscaux. Cette proportion est supérieure à la moyenne mondiale, 8% ».7)

Pour ce qui est du terrorisme et son financement, la publication des Panama Papers a mis en évidence de graves lacunes, par le biais de la fuite de données commerciales divulguées par Mossack Fonseca, un cabinet d’avocats, des transactions douteuses liées à l’industrie extractive du secteur minier de certains pays d’Afrique de l’Ouest.

Les analystes et spécialistes de la lutte contre le terrorisme soulignent le fait que les groupes terroristes Al-Qaïda et Hezbollah ont utilisé des diamants bruts de l’Afrique de l’Ouest pour financer leurs activités. Pour étayer l’affirmation susmentionnée, il suffira de se référer à un rapport du Bureau du contrôle des avoirs étrangers (OFAC) des Etats-Unis établissant un lien entre certains résidents d’Afrique de l’Ouest et des descendants du Moyen- Orient vivant en Gambie, au Ghana et en Sierra Leone qui fournissent un soutien aux organisations terroristes telles que Al-Qaeda et le Hezbollah. Ces ressortissants ont constitué́ de grandes communautés et sont effectivement des acteurs clés de l’économie.

Par ailleurs plusieurs descentes des forces de sécurité́ nigérianes dans les camps ainsi que des éléments en fuite de Boko Haram ont permis de révéler d’importants stocks de pétrole raffiné, servant soit à alimenter les véhicules et autres machines, soit à générer des revenus d’exploitation et d’entretien à l’organisation terroriste.

Pourtant, le lien entre l’exploitation des ressources et le terrorisme dans la région n’a pas été́ établi dans la littérature des autorités de tutelle. La récente étude de typologies conjointe réalisée par le GAFI, le GIABA et le GABAC8) a fait référence à la contrebande et au détournement de pétrole, mais a admis avoir omis de confirmer une corrélation directe avec les groupes terroristes de la région.9)

L’organisation internationale de la Police criminelle (International Criminal Police Organization) estime que les Flux Financiers Illicites (FFI) participent au financement du terrorisme, le montant se monte au minimum à 4O milliards de dollars.

Un sixième (1/6) des recettes publiques en Afrique proviennent de l’impôt sur les sociétés, or le cout de l’évasion fiscale représente 1/10 de ce montant. La fraude fiscale et l’évasion fiscale agressive figurent sans conteste parmi les sources de FFI contribuant le plus à accentuer les inégalités en Afrique de l’Ouest. Les données disponibles mettent en évidence un écheveau complexe de liaisons entre fiscalité́ et inégalités. Les stratégies agressives d’optimisation fiscale sont essentiellement le fait des groupes les plus riches et des grandes entreprises. 10 des 19 pays les plus inégalitaires du monde se trouvent en Afrique de l’Ouest selon le l’United Nations Development Programme (UNDP), 2017.

Rappelons à juste titre qu’en moyenne, les pertes dues à l’évasion fiscale sont plus élevées en Afrique centrale, en Afrique du Nord et en Afrique de l’Est (2,7 % du PIB), qu’en Afrique australe (environ 2 % du PIB) et en Afrique de l’Ouest (2,3 % du PIB). Le taux médian des fuites des capitaux, exprimé en pourcentage du PIB, s’étend de 2,7 % en Afrique du Nord à 10,3 % en Afrique de l’Ouest.

Dans son rapport 2018 la Banque mondiale estime qu’à ce rythme le taux d’extrême pauvreté́ restera supérieur à 10 % en Afrique subsaharienne en 2030. Pour pallier cela, il faut un taux de croissance sans précédent et de veiller à ce que la croissance soit inclusive.

Le blanchiment d’argent, comme dans tout le reste du monde est une infraction qui est directement liée aux autres. Tel qu’il ressort du rapport du CNUCED, il existe une relation symbiotique entre les différentes infractions. On peut citer notamment le lien entre la corruption d’agent public qui sévit dans les institutions chargées de mettre en œuvre les règlementations en vigueur et le blanchiment d’argent en raison du fait que la corruption facilite le blanchiment et le dernier rend le premier rentable.

Face à ces plusieurs manques à gagner qui rognent les recettes publiques et par ce truchement compromettent les situations socio-économique des populations, des mesures tendant à enrayement ont été mises en place. Il s’agit de prime abord de la création du Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (GIABA)10) en décembre 2000 dont les missions consistent à assister les Etats membres afin que leurs économies et systèmes financiers ne soient pas utilisés à des fins de blanchiment des produits de la criminalité et de financement du terrorisme.

Dans le souci de se conformer à la Recommandation 29 du Groupe d’Action Financière (GAFI), les Etats membres de l’UEMOA se sont dotés d’un organe de lutte : les Cellules Nationales de Traitements des Informations Financières (CENTIF). « Les pays devraient instituer une Cellule de Renseignements Financiers (CRF) servant de centre national… »11)

De par son positionnement stratégique, la CENTIF-CI assure l’interface entre les professionnels assujettis, les autorités de contrôle d’une part (volet préventif) – par le biais de déclarations des les transactions en espèces d’un montant égal ou supérieur à un seuil fixé par une instruction de la BCEAO, qu’il s’agisse d’une opération unique ou de plusieurs opérations qui apparaissent liées – et d’autre part, les autorités de poursuite que sont les autorités de Police Judiciaire et la Justice (volet répressif).

Dans le cadre de son engagement dans la lutte contre la LAB/FT, le CENTIF mis en place 4 obligations incombant aux Etats membres. Il s’agit d’une obligation de vigilance, de déclaration des soupçons, de conservation des documents et enfin, de mise en place d’un programme de conformité en vertu de l’article 13 de la loi n° 2005-554 du 02 Décembre 200512).

Grace aux efforts consentis, on note de nombreux progrès des Etats dans la mitigation des impacts de ces FFI sur leur économie. En guise d’exemple il conviendra de se référer à la première condamnation pour blanchiment au Niger13) intimant l’adoption d’une approche axée sur le recouvrement des avoirs et la criminalité́ générant des profits, afin de s’aligner avec les normes internationales de lutte contre le blanchiment d’argent faisait suite à la mise en place du Réseau inter-agences en matière de recouvrement des avoirs pour l’Afrique de l’Ouest (ARIN-WA), dont l’établissement a été facilité par l’UNODC14). Dans la même optique, le Sénégal a établi, après avis de l’UNODC, un système de déclaration de patrimoine pour les fonctionnaires et agents publics conformément à l’article 8 de la CNUCC.15)

Dans le même sillage, l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) est mise place par le GIABA dans le but de lutter contre le blanchiment de capitaux dans le secteur de l’extraction. Cette institution intergouvernementale vise à faire du secteur minier un moteur de la transformation du continent et on incite les pays à renforcer leur coopération dans le domaine de la fiscalité ce secteur d’activité.

Plus récemment et dans le cadre de la collaboration entre la Banque Africaine de Développement (BAD) et l’OCDE, une réunion virtuelle sous le thème de « Conformité des entreprises en matière de lutte contre la corruption en Afrique : pratiques, défis et perspectives » a été tenue le 14 avril 2021. La très forte audience enregistrée pour cette table ronde, avec une participation record, témoigne, selon Patrick Moulette, chef de la Division anti-corruption à l’OCDE « de l’intérêt porté à ce sujet ».

Malgré ces efforts consentis et le soutien de nombreuses institutions internationales, on note toujours un retard dans la mise la mise en œuvre des obligations en matière de LAB/FT.

Malgré l’essor du numérique et l’empreinte des Investissements Directs à l’Etranger (IDE), l’Afrique est le continent le moins bancarisé. Nombreuses sont les populations qui ne disposent pas d’un compte bancaire. Afin de pallier à ces carences, des solutions alternatives ont été adoptées. C’est le cas notamment des Systèmes Financiers Décentralisés (SFD) prenant la forme d’institution dont l’objet principal est d’offrir des services financiers à des personnes qui n’ont généralement pas accès aux opérations des banques et établissements financiers. Même s’ils offrent les mêmes services qu’une banque classique, leur utilisation n’exige pas les mêmes conditions de vigilance en matière de LAB/FT.

A ces établissements s’ajoutent les cas d’indulgence des institutions financières dans la mise en œuvre des obligations d’identification et connaissance client au nom de l’inclusion financière. Ainsi, les opérateurs financiers internes (même faisant partie de groupes internationaux) sont tenus de s’adapter aux réalités sociales internes en acceptant des clients qui ne disposent pas de carte d’identité – à condition que ses transactions soient limitées en fréquence et montant et que la personne en cause fournisse des informations supplémentaires notamment son adresse, ses occupations et sources de revenus – et des personnes dont cartes d’identités sont échues depuis moins un d’un an. Ce qui est sans doute un risque élevé en matière de LAB/FT et justifierait dans des pays à législation avancées un cas d’interdiction d’entrée en relation ou le cas échéant, un refus de maintien de celle-ci.

Les changements fréquents d’adresse IP ou de localisation des personnes détentrices des comtes sont considérés comme des indices permettant une identification des opérations suspectes pouvant donner lieu à une déclaration de soupçon.

A ces nombreuses lacunes paralysant directement l’efficacité d’un programme de conformité se greffent « la théorie du choix rationnel justifiant qu’un agent prendra le risque de recourir à l’évasion fiscale si l’utilité du non-paiement de l’impôt, à savoir le gain attendu en termes de revenu, l’emporte sur le coût de la sanction encourue au cas où il se ferait prendre » – dont le soubassement est le défaut de pouvoir décisionnel des autorités de contrôle, le manque de coopération des États membres, qui le plus souvent manque de moyens et la complicité des agents publics dans la commission de ces infractions (voir l’affaire n°16 portant sur le cas blanchiment de produits tirés de rackets/d’extorsions de fonds par un agent de répression criminelle, en recourant au secteur de l’immobilier au Mali).

Ainsi, le cas de l’Afrique et plus particulièrement sa zone occidentale, riche en ressources mais classée parmi les pays en voie de développement et dont certains pays figurent sur la liste f-grise du GAFI16), permet de mettre en exergue le rapport symbiotique entre la conformité et le développement socio-économique d’un pays.

On note une présence pandémique de Flux Financiers Illicites qui rognent l’assiette fiscale, compromettent les recettes publiques et par conséquent, réduisent les dépenses publiques sur l’éducation, la santé et les infrastructures. Les enrayer peut aider à obtenir un niveau plus élevé de productivité et à améliorer l’efficacité de l’utilisation des ressources.

Recouvrer l’argent détourné illégalement permettrait, comme nous l’avons dit, de financer l’économie physique. Or, suite aux révélations des « Panama papers », la France a recouvré 372 millions d’euros en paiement d’impôts et d’amendes, somme qui, selon des estimations, permettrait de construire 24 écoles primaires de 20 élèves par classe ou deux grands hôpitaux publics, aux prix d’une grande métropole française (France, Assemblée nationale, 2019). Ainsi si l’Afrique pouvait recouvrir ne serait-ce que 40 milliards par an, elle pourrait donc bâtir chaque année 2400 écoles primaires de 20 élèves par classe ou 200 grands hôpitaux !

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References↑

https://unctad.org/fr/system/files/official-document/aldcafrica2020_fr.pdf↑2Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Cap-Vert, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone et Togo.https://tambour.agoraafricaine.info/2019/09/04/la-corruption-fait-perdre-a-lafrique-148-milliards-de-dollars-par-an/

https://www.giaba.org/media/f/1102_FRANCAIS-ML%20-%20TF%20IN%20EXTRACTIVE.pdf: affaire n°16 du chapitre 4 concernant les typologies et études de cas.↑5(Pour les détails de l’arnaque, consulter l’article de Prime times « Scandale de 1,1 milliard de Malabu : comme le Nigéria, l’Italie s’apprête à poursuivre les individus et les entreprises impliquées dans des scandales » 24 décembre 2016.)↑6https://www.leparisien.fr/faits-divers/biens-mal-acquis-les-secrets-du-tresor-des-bongo-05-09-2017-7235712.php↑7https://senegal7.com/corruption-et-comptes-offshore-lafrique-perd-148-milliards-de-dollars-chaque-annee/↑8Groupe d’Action contre le Blanchiment d’argent en Afrique Centrale ↑9https://www.giaba.org/media/f/1102_FRANCAIS-ML%20-%20TF%20IN%20EXTRACTIVE.pdf, chapitre 2 concernant la revue de la littérature.↑10https://www.giaba.org/member-states/index_654.html↑11https://www.centif.ci/presentation.php↑12https://www.centif.ci/documents/decret_2006.pdf↑13https://www.unodc.org/documents/westandcentralafrica/Programme_Sahel_-_Rapport_dactivite_Janvier_2016.pdf↑14United Nations Office on Drugs and Crime ou Office des Nations Unies Contre la Drogue et le Crime↑15Convention Des Nations Unies Contre La Corruption↑16https://www.fatf-gafi.org/publications/high-risk-and-other-monitored-jurisdictions/documents/increased-monitoring-february-2021.html




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